Le silence troublant du gouvernement sur les frais de représentation des ministres
En dépit de l’insistance de certains députés, le gouvernement persiste à affirmer qu’il est impossible de rendre public le montant et la nature des frais de représentation des ministres, pour des raisons techniques. Pourtant, le cabinet de Gérald Darmanin est parvenu à détailler ceux du ministre de l’Action et des Comptes publics…
“La transparence en matière de gestion publique n’est pas une valeur fondamentale et partagée de notre fonctionnement démocratique”. Dans une récente interview à Capital, le président de l’Observatoire de l’éthique publique René Dosière avait pointé un “certain attentisme” du gouvernement en matière de transparence. Malgré l’insistance des députés, le silence opposé par le Premier ministre et la majorité de ses collègues, au sujet de l’utilisation de leurs frais de représentation, en est la preuve éclatante.
Depuis le début du quinquennat, une poignée d’élus multiplie les questions écrites au gouvernement, afin de connaître le détail de ces frais dans chaque ministère. Pour rappel, leur montant est théoriquement plafonné à 100.000 euros pour un secrétaire d'Etat, 120.000 euros pour un ministre placé auprès d'un ministre, et 150.000 euros pour un ministre de plein exercice, comme l’avait indiqué Matignon au député Régis Juanico (Génération.s.).
Le gouvernement refuse de s'appliquer la transparence
Malheureusement, les requêtes formulées à maintes reprises par Aude Bono-Vandorme (LREM) ou Régis Juanico (Génération.s.) s’attirent une réponse identique et peu satisfaisante, quel que soit le ministère interrogé. En substance, le gouvernement répond “qu’il n'existe pas de document établissant les détails d'utilisation de la dotation de frais de représentation et les fonctionnalités qu'offre le logiciel CHORUS (l’outil de gestion budgétaire de l’Etat) ne permettent pas de les obtenir”.
Circulez, donc, il n’y aurait rien à voir, ni à contrôler… Forcément, la réponse lapidaire des ministres a tendance à agacer les députés, qui, eux, sont contraints de justifier leurs frais de mandat. “Pour moi, le gouvernement refuse tout simplement de s’appliquer la transparence qu’il professe par ailleurs”, confie une source parlementaire à Capital. Selon notre interlocuteur, les explications avancées par l’exécutif ne tiennent pas une seconde. Et pour cause, affirme-t-il, les dépenses de représentation des ministères font l’objet d’un décaissement sur facture, qui est lui-même assuré par le contrôleur budgétaire et comptable du gouvernement. Par conséquent, ce dernier devrait être en mesure d'en détailler le montant et la nature... contrairement à la version des ministères !
Les superpouvoirs de Gérald Darmanin
Si les explications gouvernementales paraissent douteuses, c’est aussi parce que l’un des ministres ne partage pas les difficultés de ses collègues. Et Pas n’importe lequel ! Il s’agit de l’ambitieux Gérald Darmanin, chargé de l’Action et des Comptes publics. Dans une réponse transmise au député Régis Juanico, en juillet 2019, ce dernier détaillait minutieusement la répartition des 137.000 euros utilisés au titre des frais de représentation de son ministère, durant l’année 2018. C’est ainsi qu’on a appris que le ministre et ses collaborateurs avaient déclaré 116.000 euros de frais de restauration, ou encore 5.000 euros de cadeaux protocolaires, lors de cet exercice.
Comment Gérald Darmanin a-t-il pu réussir là ou l’ensemble de ses autres collègues ministres, dont le premier d’entre eux, ont échoué ? Mystère… Contacté à plusieurs reprises par Capital, le cabinet de Gérald Darmanin n’a pas souhaité révéler les secrets de sa prouesse. À ce jour, la seule autre exception relevée concerne l’ex-ambassadrice des pôles, Ségolène Royal. Accusée d’avoir détourné cet argent pour servir ses intérêts personnels, cette dernière a eu la (désagréable ?) surprise de découvrir la retranscription à l’euro près de ses dépenses de représentation sur le site de l’Assemblée nationale. Une “facture” détaillée fournie dans un délai record par le Quai d’Orsay - un mois seulement - à la suite d’une question du député Charles de Courson.
Involontaire ou assumé, le pied de nez de Gérald Darmanin à ses collègues ministres a naturellement relancé la curiosité des députés. Le 21 avril dernier, Régis Juanico a donc adressé une nouvelle question écrite à l’ensemble des ministères et secrétariats d’Etat. Objectif pour l’élu : “Comprendre en quel sens ce qui est possible pour le ministre de l'Action et des Comptes publics ne l'est pas pour les autres membres du gouvernement à qui cette demande a été adressée, sauf à vouloir perpétuer l'ancien monde du ‘secret dépense’ ”. À ce jour, aucun ministre n’a pris soin de répondre à l’élu de la Loire...
De son côté, Aude Bono-Vandorme (LREM) a également pris la plume pour reprocher au gouvernement son peu d’empressement à faire la lumière sur les frais de représentation. “S'agissant d'une dotation d'argent public qui n'a aucune existence juridique, il est souhaitable et nécessaire qu'un contrôle de son utilisation puisse avoir lieu, ce qui constitue l'une des missions du parlement conformément à l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789”, a rappelé l’élue de l’Aisne dans une nouvelle question écrite rédigée il y a quelques jours. Avant de souligner que “dès lors que les dépenses des ministères sont payées par un comptable public donc décaissées sur facture, il est tout à fait possible de fournir le détail de l'utilisation de cette dotation, comme l'a fait le ministre de l'Action et des Comptes publics”.
Le rôle clef de la CADA
Dans cette affaire, la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) joue un rôle important. Malgré l’existence d’un avis de l’autorité indépendante daté du 25 mai 2013 — confirmé par un arrêt du tribunal administratif — reconnaissant que les documents de fonctionnement des cabinets ministériels étaient bien communicables, celle-ci a finalement rejeté le recours de nos confrères de Next Inpact, qui souhaitaient avoir accès au détail des frais de représentation. Dans un avis disponible ici, la CADA a donné raison au gouvernement, qui soutient de son côté que les documents comptables retraçant les frais de représentation des ministres n’existent pas et que l’extraction d'éléments dispersés au sein du logiciel comptable Chorus est trop complexe. A deux exceptions près, cependant : Gérald Darmanin et Ségolène Royal...
Contacté, le cabinet du Premier ministre n’a pas retourné nos demandes.
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Publié le 24/06/2020 ∙ Média de publication : Capital